samedi 21 juin 2014

2013 : mes 10 coups de cœur cinéma

Ceci est le top cinématographique annuel d'une étudiante en cinéma qui n'avait pas le temps d'aller au cinéma. Comble du comble. J'ai certainement manqué d'excellents films cette année, il n'empêche que j'ai tressailli dans certaines salles obscures cette année, et ce fut pour ceux-ci.


10. La vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche.
Sans m'être absolument extasiée devant et sans avoir lu toute la presse et tenu compte de l'agitation autour de ce film, je l'ai trouvé juste et réaliste - même s'il existe en ce bas monde un juste milieu entre les huîtres et les pâtes bolognaise ou l'érudition et l'ignorance. Il fallait bien trois heures pour peindre la fresque d'une histoire d'amour, de toutes les étapes de la découverte à la résignation en passant par l'ennui et la tempête. Enfin, le sujet de l'éducation sentimentale est toujours, pour moi, un beau sujet et il me semble que Kechiche l'a parfaitement traité dans ce film. (Mais une Palme, quand même...)
"Je suis femme et je conte mon histoire."

9. The Great Gatsby de Baz Luhrmann.
Je serai brève : quel spectacle ! Costumes, décors, musique, faste éblouissant des années 20 (qui me séduit d'emblée), DiCaprio (idem) qui prouve une fois encore qu'il n'a pas fini de nous surprendre et une 3D éblouissante : cette séance m'a fait quitter la terre l'espace de deux heures.
 "I wish I had done everything on earth with you."

8. La bataille de Solférino de Justine Triet.
Le film avec le plus grand nombre de figurants, après Le Seigneur des Anneaux. Absolument l'un des meilleurs films français de l'année, et je ne dis pas ça uniquement parce que mon frère joue dedans et que l'excellent morceau Lose Your Soul chanté par Ryan Gosling nous emporte pendant le générique ! Tout est à saluer dans le film de Justine Triet : l'idée géniale qu'elle a eu de filmer cette double bataille : celle d'un couple pour ses enfants et d'un pays par ses enfants, ainsi que sa maîtrise de l'imprévu (foule, bébés et animaux). Entre le plein et le vide, le vacarme et le silence, c'est le pouls de la vie, avec sa part de jeu et d'improvisation mêlée, qui est rendu dans La bataille de Solférino.
"Tu vas ressentir le vide."


7. Gravity de Alfonso Cuaron.
Très original, on ne l'avait encore vu dans aucun top 2013 ! Plus sérieusement, le travail technique titanesque ne peut être ignoré : c'est beau, voilà. Surtout la découverte magique des premières minutes qui nous immerge, du noir de la salle, dans ce cosmos en 3D. Passée la beauté des débuts, cette version futuriste d'Adam et Ève pris en plein Big Bang illustre parfaitement la force de l'humain et de la machine qu'est son corps dans la course à la vie. Beau et éprouvant.
"Woof woof !"

6. Les garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne.
Pour le jeu d'acteur époustouflant. Même si on l'avait déjà vu au théâtre, le cinéma permet de pousser le jeu du dédoublement encore plus loin et c'est appréciable. D'accord, il est partout et on ne voit que lui, c'est égocentré et la fin est un peu ridicule. Mais la mise en scène du quiproquo identitaire, vraie farce digne de Molière, est réalisée de façon drôle et élégante et donne au final, selon moi, un film frais et drôle, qui fait un bien fou.
"Tu sais il y en a plein qui vivent très heureux."

5. Spring Breakers d'Harmony Korine.
Korine, arty et branché ou pas : la question n'est pas là. Ce qui compte, c'est la performance de James Franco, Britney Spears au piano sur fond rose "Petit Poney" et la perdition du monde incarnée par les jeunes filles en fleur cagoulées et armées. Le spring break, espèce d'enfer flashy et ultra moderne, ressemble à une représentation de l'enfer et du purgatoire échappée d'un tableau de primitif flamand. Chaos, violence, nudité, punitions abjectes, hommes qui se piétinent et "aliens", tout y est. Tout est corrompu, tout brûle, la réalité n'existe pas, ou peut-être avec la grand-mère à l'autre bout d'un téléphone qui semble joindre un autre univers. Trop proustien pour que je n'aime pas. (Y'all.)
"Just pretend it's a video game. Like you're in a fucking movie."

4. Django Unchained de Quentin Tarantino.
Je crois que pour le décrire à sa sortie, la critique n'avait que le mot "jouissif" à la bouche?  Hormis cette évidence, Léo a définitivement validé sa place de king of the world et illumine tout le film de son aura magique. (Je m'emporte.) Enfin, une autre revanche historique - jouissive, n'est-ce pas - de Tarantino, sans manichéisme et avec beaucoup d'intelligence et d'humour, comme d'habitude, et c'est pour mon plus grand plaisir que cette année aura vu fleurir toujours plus de "fucking shit", "motherfucker", "bitch" et autres "nigga"; et j'ajouterai enfin que, malgré quelques longueurs pour y arriver, la scène finale est un vrai cadeau du ciel.
"Django. D is silent."

3. The Master de Paul Thomas Anderson.
De quelle maîtrise on parle? 
"When we're in love we experience pleasure, and extreme pain."

2. Pacific Rim de Guillermo del Toro.
C'est la fan de James Cameron qui s'exprime; on le reconnaît bien trop là-dessous. Maîtrise parfaite et grand spectacle. L'homme et la machine vs. la nature et Dieu. Et autres combinaisons possibles. On a beaucoup encensé Gravity, et à juste titre, mais Pacific Rim
"There are things you can't fight : acts of God."

1. Ma vie avec Liberace de Steven Soderbergh.
Je ne saurais même pas décrire mon ressenti face à ce film; j'ai eu envie de faire un mémoire dessus. Je pense que la question du corps dans ce film est à étudier très sérieusement, puisqu'il en dit beaucoup de choses. Derrière le glamour, le "palais kitsch" et les éclats de lumière qui parsèment l'image, la douleur, la folie et la souffrance, que Douglas et Damon campent de façon époustouflante, glacent le sang. C'est son titre original, Behind the candelabra, qui en dit beaucoup plus sur le sujet de la dissimulation, du caché. Dans son film, Soderbergh réalise le parfait et émouvant strip-tease de son personnage fascinant qu'est Liberace.
"Too much of a good thing is wonderful."

mercredi 18 décembre 2013

Cléopâtre au cinéma

Aujourd’hui, au lieu d’une scène culte, j’ai voulu m’intéresser à un thème en particulier, toujours cinématographique. Si cette idée ne vous plaît pas, je n’insisterai pas, mais parler de Cléopâtre VII en faisant un peu d’histoire du cinéma me paraissait intéressant. La fascinante reine d’Égypte dont l’histoire est une ressource inépuisable pour les réalisateurs a parcouru l’histoire du cinéma en changeant de visage et de caractère. Costumes exceptionnels et figurants par milliers, décors titanesques, budgets astronomiques et censure à gogo au programme.
La vérité, c’est que je voulais choisir un des films majeurs sur Cléopâtre et discuter d’une scène en particulier, mais 1) je n’ai pas pu m’y résoudre, 2) les extraits sous-titrés sont impossibles à trouver, et puis 3) changer, ça fait du bien. Donc pour le prix d’un film, vous en aurez six (ça fait un peu marchand de melons, j’en conviens).
[Note : Ce ne sont pas les uniques films sur Cléopâtre, mais les plus importants.]

T'as intérêt à tout lire.

La femme

Tout ce qu’ont pu découvrir les historiens sur son physique est qu’elle avait les traits lourds et un grand nez. Elle était pourtant une grande séductrice, grâce à une voix ensorcelante, du charisme et une culture impressionnante (elle parlait pas moins de dix langues). Belle ou non, elle incarne la femme fatale ultime, devant laquelle les hommes ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Tentatrice de grande envergure, c’est sur son personnage que s’est formé le concept des vamps (séductrices vampiriques aspirant toute force et courage des hommes les approchant), héroïnes des films noirs en particulier.
Boulimique sexuelle, elle se servait de ses esclaves mâles pour assouvir ses envies et les faisait tuer le lendemain. C’était le prix à payer pour sa "compagnie". C’est ainsi qu’elle ensorcela Marc-Antoine (homme de pouvoir inaccessible, au même titre que César), qui laissa tomber pour elle son peuple et tout l’Empire romain, ne pouvant plus s’en séparer.
A côté de cette réputation, Cléopâtre était un pharaon tenace,extrêmement attachée à son pays et à son peuple. Elle gérait de main de maître disettes, sécheresses et luttes politiques. Une bête de nana.

L’histoire (en très gros)

Elle accède au trône à 17 ans, épouse consécutivement ses 2 frères (berk) mais finit par régner seule [les films n'évoquent pas cette partie de sa vie]. Pour agrandir, sauver et moderniser l’Égypte, elle séduit l’empereur romain Jules César en se faisant livrer à lui, enroulée dans un tapis, pour pouvoir l’approcher. César, accusé de délaisser son peuple pour une femme se fait assassiner. Cléopâtre rencontre alors son second, Marc-Antoine, qu’elle séduit également. Ils se marient, mais leur amour est bien réel. Un leader romain, Octave, déclare la guerre à Marc-Antoine. Cléopâtre tente de le séduire, mais en vain. Marc-Antoine se suicide au poignard, Cléopâtre au poison (piquée par un serpent) et meurt dignement sur son trône, pour que personne ne puisse la détrôner.

Les représentations

Bien avant l’invention du cinéma, des actrices s’essayaient déjà à imiter Cléopâtre sur les planches, souvent dans la pièce de Shakespeare, Antony & Cleopatra. En particulier l’actrice britannique Lillie Langtry, qui l’a incarné une centaine de fois sur scène (1890 – 1891).
Lillie Langtry (1890)

1912

Le premier Cléopâtre "connu" (Charles Gaskill) est un film muet avec Helen Gardner, une actrice à succès. Première femme à monter une boîte de production, créatrice de costumes, professeur de pantomime, c’est une femme exceptionnelle, presque autant que Cléopâtre elle-même. Pour les passionnés, le film est disponible en entier sur youtube ici. C’est une archive intéressante, mais pas un film génial. Le personnage de Cléopâtre y est très grave et assez insupportable à mon avis. Mais voyez quand même quelques secondes de la première Cléopâtre muette, dans un costume que l’actrice avait réalisé elle-même :

Helen Gardner (1912) - Theda Bara (1917)

1917

Le second Cléopâtre (J. Gordon Edwards) est connu pour avoir dans son casting la première vamp du cinéma, la belle Theda Bara. Le film est basé sur la pièce de Shakespeare Antony & CleopatraDe son temps, il fut censuré à cause du personnage trop "sexuel" et provocant, et des costumes outranciers. Il est malheureusement impossible de le voir, toutes les copies ayant brûlé lors d’un incendie à la Fox. Il reste seulement des bribes du film, dont ces quelques secondes :

1934

Le Cléopâtre réalisé par Cecil B. DeMille (pas de confusion, Cecil est un homme, et le gagnant de la toute première Palme d’Or à Cannes) est une version qui envoie valser rapidement César pour se concentrer sur l’histoire d’amour entre Cléopâtre et Marc-Antoine. Les réalités historiques et géopolitiques, bien que présentes, sont vraiment reléguées au second plan. C’est un drame amoureux plein d’excès et de faste et c’est assez sublime à regarder. De plus, l’actrice choisie pour le rôle de cette immense production hollywoodienne est… une française ! Claudette Colbert, certainement l’opposé physique de la véritable Cléopâtre, avec son minuscule nez retroussé. Seins nus strassés et robes moulantes au menu.
Ici, vous pouvez admirer la (courte) scène de l’entrée de Cléopâtre à Rome avec César et leur fils Césarion, un bâtard, puisque César était marié à une romaine et a "fauté" avec Cléopâtre, qu’on appelait "la reine prostituée". Pourtant, le peuple qui va bientôt haïr la reine d’Égypte lui réserve un accueil triomphant qui traduit le reste du film : opulence et excès, partout! Les quelques romains que l’on entend discuter dans l’extrait disent simplement "- Elle est belle – Oui, vraiment – Oh, je ne sais pas…", paroles qui soulignent l’éternel doute sur la réelle beauté de la reine d’Égypte. Certains auteurs de l’époque la comparent à une déesse, presque impossible à regarder tellement sa beauté était grande, mais les rares informations "concrètes" concernant son aspect physique (pièces, statues) ne laissent rien paraître de tel ! Mystère.
Claudette Colbert (1934) - Vivien Leigh (1945)

1945

La version intitulée César et Cléopâtre (Gabriel Pascal) est beaucoup moins connue, même avec Vivien Leigh au casting (la Scarlett d’Autant en Emporte le Vent). Peut-être parce que ce n’est pas un film hollywoodien, mais britannique et que c’est une adaptation d’une pièce de George Bernard Shaw et pas de Shakespeare. Une Cléopâtre plus femme enfant que femme fatale (elle a 16 ans dans ce film, alors que Vivien Leigh en avait 32 et l’illusion est parfaite!), un César ironique et blasé, une réalisation assez peu marquée et un aspect beaucoup moins péplum que dans les autres versions. Plus une pièce de théâtre qu’un film, peut-être à cause du jeu des acteurs, très doués. Et particularité : on parle de César et pas de Marc-Antoine, pour une fois !

1963

La version aux 4 Oscars de Joseph L. Mankiewicz est la plus aboutie et la plus spectaculaire de toutes, starring le couple mythique Richard Burton -Elizabeth Taylor, un film de 4h et 5h20 pour la version non-coupée.  Du point de vue de l’intrigue, ce film est un remake de celui de DeMille, mais avec beaucoup plus d’attention sur César. C’est une fresque, un monument, un vrai péplum, avec une rigueur historique incroyable (des historiens étaient consultés pour chaque scène), 64 robes pour Liz Taylor qui fait de Cléopâtre une vraie déesse, des milliers de figurantsun budget qui a failli ruiner la Fox, j’en passe et des meilleures. Niveau opulence, rigueur et qualité, il bat toutes les autres versions. Régalez-vous devant la scène, là aussi, de l’entrée de Cléopâtre à Rome, LA scène culte du film :
Cet extrait ne le montre pas, mais la caméra est placée derrière deux légionnaires romains, à la place de César. Nous avons donc dans cette scène le point de vue de César, à savoir l’angle le plus avantageux puisque c’était à lui que le "spectacle" était destiné. Comme au théâtre, il n’y a qu’une seule place "idéale", de laquelle on a la meilleure vision de l’œuvre, et ici le réalisateur nous l’offre. Hormis la démesure extrême (encore plus que dans la version de DeMille) qui caractérise Cléopâtre, c’est de la démesure d’Hollywood qu’il s’agit ici.
Élizabeth Taylor (1963)

2001

Le film Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre d’Alain Chabat (adapté de la BDAstérix et Cléopâtre) met en scène la reine d’Égypte en la personne de Monica Bellucci[Note : Je ne néglige rien par snobisme !] Un film qui fait part belle à l’humour, tout en mettant en scène la folie des grandeurs, l’orgueil et le pouvoir sexuel de Cléopâtre et la montre comme une femme impitoyable et autoritaire qui mène tout le monde à la baguette, surtout César. Extrait plus que révélateur dans lequel tout cela est condensé : 
Le fait que César fasse comme s’il ne savait pas qui venait le voir (avec arrêt de tout bruit quand il est dos au char et le son qui revient dès qu’il se retourne) est un gag assez drôle en soi, il faut le reconnaître. Il se moque du côté "manifestation" de chaque sortie de la reine, avec l’immense char et la centaine d’esclaves qui l’accompagne (semblable à l’arrivée à Rome du film de DeMille et de Mankiewicz), qui n’envisage pas de passer inaperçu et qu’on ne la remarque pas. Égocentrique, Cléopâtre? C’est certainement la version filmique qui lui attribue le plus de défauts et la rend la plus détestable.
Monica Bellucci (2001) - Angelina Jolie (2012)

2012

Et une nouvelle Cléopâtre que nous prépare en ce moment-même David Fincher,starring Angelina Jolie, mais attention : il est question que cette Cléopâtre ne soit pas représentée comme une séductrice, mais comme un pharaon à part entière. L’actrice devra-t-elle s’enlaidir ou tout simplement ne pas chercher à se sublimer avec des costumes à tomber? Mystère… En tous cas, on sera loin d’Élizabeth Taylor.
Un point commun entre ces films : les actrices, toujours représentantes des canons de beauté de l’époque (Theda Bara n’a rien à voir avec Angelina Jolie). Ces belles femmes sont d’ailleurs à mille lieues de ressembler à "la vraie" Cléopâtre, avec ses traits lourds et son grand nez. Pourquoi? Parce que selon les époques et les lieux, les canons de beauté, comme la mode, évoluent et que la représentation que l’on se fait de Cléopâtre, irrésistible avant d’être belle, doit subsister. Cléopâtre sera toujours LA plus belle, LA plus puissante, LA plus maligne et LA femme à envier du moment. Beauté immortelle et immuable. (La it-girl, quoi.)
PARDON? Bon, puisque vous insistez… 
 Astérix et Cléopâtre (1968) de Goscinny et Uderzo, les créateurs d’Astérix en personne.

"There's no place like home", Le Magicien d'Oz

Aujourd’hui, on s’intéresse au film le plus vu au monde, soit l’équivalent de La Bible pour les livres – si vous jouez au Trivial Poursuit vous savez de quoi je parle. Le Magicien d’Oz (The Wizard of Oz – 1939) de Victor Fleming, l’illustre réalisateur d’Autant en Emporte le Vent, adapté du roman de L. Frank Baum. Je suis si enthousiaste de parler de ce film que je danserai bien sur une route de briques jaunes en chantant, mais je pense que Dorothy et ses potes expriment l’essentiel ici :

Dorothy Gale s’ennuie dans la petite ferme du Kansas où elle vit avec son oncle et sa tante. Une horrible voisine riche et acariâtre veut lui enlever son chien, Toto. Elle ne peut rien faire contre et est désespérée. Lorsqu’un ouragan dévastateur passe sur la ferme, Dorothy est assommée et rêve qu’elle se retrouve à Oz, un pays peuplé de petits hommes où règnent des fées, mais surtout un grand magicien qui peut exaucer tous les souhaits. En chemin, pour le retrouver afin de rentrer chez elle, elle croise la route d’un épouvantail (qui n’a pas de cervelle), d’un homme de fer (qui n’a pas de cœur) et d’un lion (qui n’a pas de courage). Ils lutteront ensemble pour trouver ce fameux magicien, afin qu’il leur donne ce qui leur manque à tous.
Si l’histoire est globalement la même du livre au film, on ne retrouve presque rien de similaire du point de vue des détails, le changement le plus criant étant la couleur des fameuses chaussures de l’héroïne. Dans le roman, les souliers sont argentés. Dans le film, ils sont rouges (rubis, même). Pourquoi ? Parce que Le Magicien d’Oz est un des premiers films en Technicolor. Du milieu à la fin des années 30, la couleur à l’écran était une révolution et un véritable argument marketing (comme pour le son, le numérique et la 3D), les gens allaient au cinéma pour voir de la couleur à foison et constater le progrès. Les souliers de Dorothy, qui sont presque un personnage à part entière, ne pouvaient PAS être bêtement argentés (gris/blanc).

Le Magicien d’Oz, c’est aussi Somewhere over the rainbow (Oscar de la meilleure chanson), chanté par Dorothy alors qu’elle est dans sa ferme perdue dans le Kansas, avec une image filmée en sépia. Dans son esprit d’enfant, elle ne connait qu’une seule chose de colorée : l’arc-en-ciel, et elle s’imagine un pays plein de couleurs, derrière l’arc-en-ciel, où les rêves se réalisent.
Puis, une tornade éclate (une des plus grosses craintes des États-Unis, le Kansas en étant le centre) et passe sur la ferme de Dorothy, qui n’a le temps que de se réfugier dans sa chambre. S’ensuivent des effets spéciaux incroyables qui montrent la ferme s’envoler (une reproduction miniature de la ferme était filmée au ralenti en train de tomber) et atterrir… derrière l’arc-en-ciel. [Note : la vidéo est longue, vous pouvez ne regarder que les 2 premières minutes.]
Au tout début de la scène, l’image n’était pas filmée en sépia mais… en couleur! L’intérieur de la ferme avait été peint en marron, et une doublure de Dorothy (si l’on regarde de près, on remarque très bien que ce n’est pas Judy Garland) vêtue d’une robe couleur "sépia" ouvre la porte de dos. Puis, la vraie Dorothy fait son entrée avec sa robe bleue.
Le passage du sépia à la couleur est une excellente utilisation de la nouveauté pour rendre le changement d’univers flagrant.L’émerveillement du spectateur (qui a payé sa place pour voir de la couleur) est encore plus grand. Après avoir été coincé dans des teintes sépia durant les 20 premières minutes, une porte s’ouvrant sur les couleurs de l’arc-en-ciel nous contente et nous fait réellement changer d’univers en même temps que Dorothy.
Pour marquer encore plus le temps de l’émerveillement, il n’y a aucune musique avant l’ouverture de la porte, puis elle redémarre avec l’apparition des couleurs.Le parlé/chanté marque également la différenciation des deux mondes. Avant d’arriver à Oz, il n’y a eu qu’une seule chanson (Somewhere over the rainbow), très mélancolique. Après son arrivée, les scènes chantées et dansées s’enchaînent à grande vitesse, avec des rythmes beaucoup plus joyeux.

L’autre passage important du film avec l’arrivée à Oz, c’est le départ de Oz. Une fois sa mission terminée, Dorothy apprend qu’elle avait le pouvoir de rentrer chez elle dès le début, grâce à ses souliers et à une formule magique : "There’s no place like home".
La traduction littérale de cette formule magique donnerait "Il n’y a pas d’endroit comme chez soi", étrangement la VF traduit la phrase comme ceci : "Je veux retrouver ceux que j’aime". Il parait que la version originale ferait référence à la situation des États-Unis qui, ne sachant pas comment se positionner par rapport à la guerre qui avait lieu en Europe, préféraient "rester chez eux" et fermer les portes. [Note : Je trouve cette théorie stupide et tirée par les cheveux, mais comme elle intéresse suffisamment de gens je n'exclue rien.]
En revanche, l’histoire de cette fillette qui s’ennuie dans sa ferme loin de tout et cherche à s’évader pour s’accomplir est caractéristique du rêve américain. Le pays d’Oz peut être perçu comme un El Dorado, nécessaire au parcours initiatique des héros. On peut voir la Cité d’Émeraude (où règne le magicien) comme un New York fantastique avec ses hautes tours qui scintillent. Finalement, Oz est une terre d’accueil où l’on aide les vagabonds et laissés pour compte (Dorothy qui est loin de chez elle et n’a pas de parents, et ses 3 amis à qui il manque des qualités vitales). Mais la moralité de ce film sur l’exil (fantastique, musical et coloré, ça passe mieux) est que le seul foyer dans lequel on se trouve bien, c’est celui que l’on se fabrique soi-même, avec ses amis, la famille n’ayant presque aucun rôle ici.

Une citation : "Toto, I’ve got a feeling we’re not in Kansas anymore." Dorothy Gale
A savoir : Cette réplique est classée 4e plus grande réplique du cinéma américain. | A l’origine, la Méchante Sorcière de l’Ouest devait être sublime et sexy, mais le réalisateur s’est raisonné : ce n’était pas possible, les méchants sont vieux et moches.| Judy Garland avait 17 ans, elle a du perdre plusieurs kilos et se faire comprimer la poitrine pour ce rôle, Dorothy étant censée être une petite fille.

Le ballet des Chaussons Rouges

C’est un fait, mille ouvrages théoriques sur le cinéma vous le démontreront par A+B : le septième art est le plus total des arts puisqu’il peut en lui seul réunir et contenir les six autres. Cela ne rend pas les autres arts moins importants, et ce n’est pas parce que l’on va au cinéma qu’il faut arrêter de lire ou d’aller au musée, mais certains films sont de véritables prouesses artistiques, et pour nourrir cette prise de conscience sur « le cinéma comme art total », un film déclasse tous les autres.
Les Chaussons Rouges (The Red Shoes - 1948) est un film de Michael Powell et Emeric Pressburger, un duo de cinéastes indépendants, auteurs de bon nombre de classiques du cinéma britannique.
Le film est ultra célèbre pour sa ballerine rousse et ses chaussons de danse rouge vif, à ne surtout pas confondre avec l’autre paire de chaussures rouges la plus connue du cinéma : celles de Dorothy du Magicien d’Oz (1939 – on y reviendra). Elles ont pourtant chacune un pouvoir sur celle qui les portent.
Côté symbolique, j’ajouterai que la couleur rouge a autant de significations positives que négatives, à savoir : la passion, la sexualité et le triomphed’un côté, et le sang, l’enfer et le danger de l’autre. Ce qui traduit complètement l’ambivalence du personnage principal et son histoire. Venons-en.
Scène Culte #21 : Le ballet des Chaussons Rouges The Red Shoes 1948 0011
Les Chaussons Rouges raconte l’ascension simultanée d’une ballerine, Victoria Page (Moira Shearer) et d’un compositeur, Julian Craster (Marius Goring). Ces deux personnages forment un trio amoureux avec celui qui les unit : le directeur de la troupe de ballet, Boris Lermontov (Anton Walbrook). Julian écrit un ballet pour Victoria à la demande de Lermontov, Les Souliers Rouges, inspiré du conte d’Andersen.
C’est un triomphe, Victoria devient une ballerine célèbre dans toute l’Europe, mais l’histoire d’amour naissante entre Victoria et Julian provoque la colère et la jalousie de Lermontov. Il renvoie le compositeur et Victoria démissionne, renonçant ainsi à sa passion pour la danse et l’art au profit de son amour. Mais l’héroïne qu’elle incarne dans Les Chaussons Rouges prend le dessus sur Victoria, les chaussons ne s’enlèvent plus et n’arrêtent pas leur course folle.

La scène culte de ce film, c’est la scène du ballet des Chaussons Rouges, la clé de voûte de l’histoire. Ce ballet incroyable qui dure 17 minutes nécessita une vingtaine de décors somptueux, 53 danseurs et 4 semaines de tournage. Victoria danse alors le conte d’Andersen « Les Souliers Rouges », l’histoire d’une jeune femme qui tombe amoureuse d’une paire de souliers. Elle les enfile et se met à danser, heureuse et légère, jusqu’au bout de la nuit. Au petit matin, exténuée, elle tente de s’arrêter, mais les souliers ne sont pas fatigués et continuent de danser, interminablement.
Avant de la regarder et pour bien en profiter, il faut voir en quoi cette scène réunit-elle tous les arts à elle seule? Littérature et poésie : il s’agit d’une adaptation du conte « Les Souliers Rouges » du célèbre conteur danois Hans Christian Andersen, à qui l’on doit notamment « La Petite Sirène », « Le Vilain Petit Canard », « La Petite Fille aux Allumettes », etc. Danse et pantomime : il s’agit de l’histoire d’une ballerine, il y a donc de longues scènes dansées qui allient un jeu théâtral digne d’acteurs muets. Musique : l’un des personnages principaux s’est fait voler ses compositions musicales pour le ballet, la musique originale – composée spécialement pour le film, a reçu l’Oscar et le Golden Globe de la meilleure musique. Peinture, Dessin et Architecture : sont présents dans la vingtaine de décors de théâtre « sur scène » dans lesquels Victoria danse et saute de l’un à l’autre. Ces décors sublimes ont été construits à partir de véritables peintures réalisées par Hein Heckroth, qui obtint pour ce film l’Oscar du meilleur directeur artistique (décors, costumes et accessoires). Voici quelques unes des peintures en question, que vous reconnaitrez sûrement en regardant l’extrait :
Scène Culte #21 : Le ballet des Chaussons Rouges montage red shoes 1
Scène Culte #21 : Le ballet des Chaussons Rouges 001
Voici donc le monstre :


En parallèle de la mise en scène décrite plus haut, Victoria fait également une traversée de l’art en dansant de tableaux en tableaux : elle passe par un cirque, un bal, un musée (dans lequel les œuvres tombent par terre), un cimetière (avec caveaux à colonnes et statues) et danse avec du papier imprimé.
Le plus important étant les techniques propres au cinéma utilisées dans la scène : superpositions de plans, glissements hallucinogènes (quand elle se regarde dans la vitrine), fondus enchaînés, apparitions dues au montage (les chaussons qui disparaissent de la vitrine et apparaissent à ses pieds). Ces techniques sont là pour nous rappeler, au cas où on l’aurait oublié, que l’on regarde Les Chaussons Rouges le film, pas le ballet. Les spectateurs dans le théâtre où joue Victoria ne peuvent pas voir cela, nous si. Avec un film, on peut faire encore plus de choses et on ne s’embarrasse pas de la réalité, de ce qui est possible ou pas.
Ce film est une réflexion sur l’art, la vie et la douleur obligatoire entre les deux. La douleur des choix que l’on fait pour vivre et les sacrifices pour l’art, du corps et de l’esprit. Danser sur la pointe des pieds pour toujours serait aussi douloureux que de taper sur les touches d’un piano toute sa vie, de gratter les cordes d’une guitare à l’infini, ou de ne jamais s’arrêter d’écrire. Si l’on fait le choix de « faire de l’art », on s’y consacre corps et âme, ou pas du tout. Mais si l’on ne peut pas vivre sans danser, sans peindre ou sans écrire, que reste-t-il comme choix sinon mourir ? L’art mérite-t-il que l’on meurt pour lui?
Ces dilemmes impossibles sont classiques des films de Powell et Pressburger, dont les personnages sont toujours tiraillés entre l’ambition et l’amour et la vie et la mort. Michael Powell justifia l’immense succès des Chaussons Rouges par ceci : « Pendant dix ans on nous avait dit à tous d’aller mourir pour la liberté et la démocratie, et maintenant que la guerre était finie, Les Chaussons Rouges nous disait d’aller mourir pour l’art. »
Enfin, ce film rend l’art accessible à tous. Dans une salle, les bourgeois sont mêlés aux ouvriers. En payant un simple ticket de cinéma, on peut voir un vrai ballet sans passer par la case opéra / robe longue / costume trois pièces. Une révolution.
UNE citation : “- Why do you want to dance? – Why do you want to live?”  Boris Lermontov & Victoria Page
A savoir : Une version remastérisée du film par Martin Scorsese est sortie, en Blu-Ray et au cinéma, en 2010. Cette version a fait l’ouverture du festival de Cannes en 2009, quand Scorsese en était le président. | Si on compare Les Chaussons Rouges à Black Swan, je me fâche tout rouge.