Pour cette semaine, placée sous le signe de la fête des pères, j’avais envie de parler du sujet le plus passionnant des relations pères/filles (hormis le fait que l’on finit par se caser avec un mec qui est soit le sosie de notre père, soit son total opposé), qui fut pendant bien longtemps un protocole – et peut encore l’être aujourd’hui : la demande en mariage auprès du papa. Un mec viendra un jour, sournoisement, vous voler à votre père avec ces quelques mots : « Voulez-vous m’accorder la main de votre fille? ». [ndlr : Salut, je vis au XIXe siècle, je trouve ça trop romantique.]
Alors plutôt que de vous passer le clip de Roméo et Juliette (Avoir une fille, bien sûr), je m’étais dit qu’une scène bien puissante de La Fille du Puisatier, ce serait vraiment top. Une occasion de comparer la version de Marcel Pagnol himself (1940) et celle de Daniel Auteuil (2011), que certaines sont peut-être allées voir au ciné sans forcément connaître l’original.
Pascal Amoretti, puisatier (qui creuse et entretient des puits) d’un village de Provence, a une fille belle, dévouée et vertueuse : Patricia. Un jour, elle croise Jacques Mazel, un aviateur plutôt pas mal, et au bout du deuxième rencard ils se roulent dans l’herbe au clair de lune (clin d’œil appuyé). Ils se donnent rendez-vous le lendemain, mais le soir-même Jacques est mobilisé et doit partir au front, alors il écrit une lettre pour expliquer son absence à Patricia et lui demander de l’attendre. Il confie cette lettre à sa mère et lui demande d’aller au rendez-vous lui remettre. Elle y va, mais voyant que la fille en question est la fille du puisatier et pas une petite bourgeoise, elle se cache et détruit la lettre. [ndlr : Si seulement ils avaient eu des textos ou Facebook...] Sauf que Patricia est enceinte. Elle l’avoue à son père, qui va se rendre plein de courage chez Mr et Mme Mazel pour parler mariage et défendre sa princesse pour sauver leur honneur.
C’est cette scène qui est le cœur du film. Faites attention à : la poésie et la profondeur des répliques / le jeu impeccable des acteurs (Raimu, surtout, dans le rôle du puisatier). Notez aussi que les 2 pères parlent innocemment d’une lettre qui aurait pu être une preuve de leur relation, et qu’à ce moment précis la mère ne dit rien (puisqu’il y avait bien une lettre, mais qu’elle l’a détruite). La vidéo dure 9 minutes puisque la scène est entière, mais la fin est superbe alors ne partez pas.
[Mais ça claque pas TROP cette scène? Si j'étais jury de La Nouvelle Star, je dirais que ça "met les poils".]
D’abord, le puisatier présente sa brochette de filles : bien élevées, habillées et en bonne santé, pour préparer les « futurs grands-parents » à ce qui les attend. Du « bon sang » et des yeux de la couleur de l’eau du puits (si c’est pas joliment dit, ça). Les choses se disent petit à petit : au début il dit des banalités sur ses petites, puis il parle de Patricia, puis du fait qu’elle est enceinte, et sont abordées des questions plus embarrassantes : la vérité (jusqu’où le père doit-il croire sa fille?), l’argent , la vertu et l’honneur. Cette scène parle bien sûr des rapports de classes d’une manière touchante parce que 1) poétique : « Il faut se méfier des gens qui vendent des outils et ne s’en servent jamais » (c’est pas tous les jours que vous entendez des dialogues comme ça au ciné, je me trompe?) 2) vraie : Pagnol appartient au mouvement du réalisme – comment on le sait? grâce aux décors naturels, à l’accent des personnages, leurs expressions, la fidélité à la situation économique et idéologique de l’époque, par exemple.
L’histoire de La Fille du Puisatier, c’est l’histoire d’une fille-mère que l’on doit cacher, parce qu’avoir un enfant hors mariage est montré du doigt. En passant pour une fille facile, elle déshonore son père (chef de famille absolu) parce qu’il l’aurait mal éduqué. Mais ce film traite surtout de l’amour, la beauté des petites gens et du pardon : le moment où le cœur s’ouvre, où l’on oublie les codes, la morale et la bienséance. Ok, après cette scène que vous venez de voir, il abandonne sa fille, enceinte, sur un chemin, parce qu’il a honte. Mais il l’abandonne pour mieux venir la rechercher, laissant derrière lui la morale conservatrice et ce mode de vie figé dont il ne veut plus, qui mène un père à renier son enfant. Un thème courageux et progressiste que met en scène Pagnol, en plein dans le régime de Vichy.
Pour ce qui est de la version 2011 de La Fille du Puisatier de Daniel Auteuil (qui, lui-même, a été découvert en jouant Ugolin dans Jean de Florette et Manon des Sources, autres oeuvres de Pagnol) : elle change quoi? elle est mieux? moins bien? fidèle? Avec l’extrait pas terrible de notre scène qui était disponible, j’ai préféré mettre deux bandes-annonce, dont la 1ere est uniquement constituée du dialogue de notre scène (confirmation que c’est vraiment la plus importante du film, méga culte) où l’on peut voir pas mal d’extraits :
Les plans de cette scène sont beaucoup plus rapprochés que dans la version de Pagnol, on a droit à des gros plans sur Auteuil, mais ne surtout pas y voir du nombrilisme : c’est juste qu’il s’est concentré à mort sur cette scène-là. Elle se détache absolument du reste du film et les gros plans rendent les échanges entre les personnages encore plus profonds et tragiques. La façon de parler d’Auteuil et la manière dont il déclame ses répliques les font vraiment ressortir par rapport aux autres. Par exemple, il a modifié légèrement LA phrase culte, et dans sa version, elle claque plus : « Elle est perdue pour moi » VS « Et même elle est perdue pour moi », vos votes? Moi j’ai choisi.
Ok, Kad Merad ne remplace pas Fernandel, mais Auteuil vaut bien Raimu (les doigts dans le pif, même), Nicolas Duvauchelle n’est pas crédible un instant en gentil bourgeois tout lisse (il a une barbe de 3 jours et des tatouages dans l’inconscient collectif), mais Jean-Pierre Daroussin est superbe et Sabine Azéma détestable mais comme c’est ce qu’on lui demande, ça passe. Enfin, on sent Auteuil tellement honnête et amoureux de Pagnol et de cet univers qu’il porte le film d’une façon incroyable (et il fallait la porter, la Astrid Berger-Frisbee, parce qu’elle est sacrément mauvaise).
Malgré l’évolution fulgurante des mœurs, c’est un film qui touche et nous émeut toujours autant maintenant, peut-être parce que l’image de la jeune fille victime des hommes, elle, est toujours aussi présente que la relation père-fille sera particulière. Et c’est justement parce que ce film est intemporel qu’Auteuil s’est permis de le ressortir sur les écrans en 2011.
UNE réplique : « Ma fille, c’est une fille perdue. Elle est perdue pour moi. » – Pascal Amoretti
A savoir : Le tournage a été arrêté plusieurs mois à cause de la guerre (1940), Pagnol a du changer la fin du film pour coller à la réalité : la première version du film prévoyait la victoire de la France et la version définitive rassemble la famille et les villageois autour d’un poste de radio où l’on entend le maréchal Pétain déclarer l’armistice et la capitulation de la France.
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